Rue du Pont de Lodi


Je ne sais plus d'où nous revenons quand, rue Dauphine, nous les croisons. Elles marchent sur le même trottoir, très étroit à cet endroit, et comme je m'efface pour les laisser passer, j'entends qu'on m'interpelle :
- Julien ?
Nathalie s'est arrêtée. C'est elle qui m'attrape par le bras et me tire en arrière :
- Julien !
Je me retourne. Il y a là deux femmes, l'une d'âge mûr et l'autre plus jeune. La ressemblance ne faisant pas de doute, on peut en déduire qu'il s'agit de la mère et de sa fille, ou de la tante et de sa nièce. Mais impossible de mettre un nom sur ces visages. L'instant s'éternise, assez gênant. Nathalie, bonne fille, intervient :      
- Il faut l'excuser. Il croiserait sa propre mère qu'il ne la reconnaîtrait pas. Quant à moi n'en parlons pas... D'une semaine à l'autre, c'est tout juste s'il se souvient de la couleur de mes yeux...
La plus âgée sourit, s'approche et me tend la main :
- Christine. Vous ne vous rappelez pas ? Et de Laure non plus
Christine ? Laure ? Je l'embrasse.      
- Excusez-moi. Je suis impardonnable... Mais Nathalie a raison, je suis dans la lune.
Puis je fais les présentations :
- Nathalie, voici Christine et Laure. Des amies. Nathalie. Une amie.
- Cet homme a toujours eu beaucoup d'amies, dit Laure en m'embrassant. Alors. Toujours le Luxembourg ?
- Aussi souvent que je peux, oui. Et vous ?
- Nous sommes fidèles au quartier.
Nous échangeons alors les banalités d'usage, avec promesse de nouvelles régulières et d'invitations à dîner, ensuite de quoi chacun reprend son chemin.
- Mère et fille ? me demande Nathalie quand nous sommes sufisamment éloignés.
- Non.
- Tante et nièce ?
Je rajuste mon manteau. Ignore la question. Poursuit mon chemin, fendant la foule dense en cet après-midi de samedi. Nathalie peine à me suivre. Bougonne, sitôt qu'elle a réussi à venir à ma hauteur :
- Tu n'es pas très loquace...
Je bouscule un ou deux touristes. Elle piétine. Se rapproche de nouveau et insiste :
- Tu les connais depuis longtemps ?
Nous sommes au carrefour de la rue de Seine. Un autobus barre le passage, que nous contournons chacun d'un côté. Comme nous nous rejoignons elle ironise :
- Secret défense ?
- C'est ça : secret défense.
- Ce type est infernal.
Puis elle change de sujet.

Mais y revient le soir même, alors que nous nous apprêtons à dîner :
- Alors les deux amies ? Rien à dire de plus ?
Je dois lui paraître étrange.
- C'est un mauvais souvenir ? La rue du Pont-de-Lodi, pourtant, est une rue comme tu les aimes, non ?...
- Tout à fait.
- Ça t'ennuie ?
- Quoi ?
- De les avoir croisées ?
- Qui ?
- Les deux soeurs ? Christine et Laure ?
- Comment sais-tu qu'elles sont soeurs ?
- Elles ne le sont pas ?
- Non.
- Cousines ?
- Pas plus.

Le sommelier amène le vin. Nathalie le goûte et donne son accord. Puis, après un moment de silence :
- Il va falloir te l'arracher ?
- Quoi ?
- Eh bien cette histoire !
- Quelle histoire ?
- L'histoire-de-ces-deux-femmes-qui-ne-sont-ni-soeurs-ni-cousines...
- Quel intérêt ?
- Mais ton silence, pardieu ! Ecoute. Je te propose un jeu. J'essaye de deviner et au fur et à mesure tu me dis si je me trompe, d'accord ?
- Tu n'y arriveras pas.
- Au moins j'aurais essayé. Ça nous fera une soirée piquante...
- Rien n'est moins sûr !
- Pourquoi ? Ce sont des souvenirs désagréables ?
- Non mais ce sont des souvenirs, voilà tout.
- Je croyais que les historiens n'aimaient rien tant que le passé...
- Je suis autant historien que tu es analphabète...
- Aimable par-dessus le marché... Bon. Je commence ?
- Tu peux toujours essayer...
- Vrai ? Dis-moi. Christine, c'est la tante ?
- Oui.
- La tante de Laure ?
- Oui.
- Donc Laure est la nièce de Christine !
- Ça tombe sous le sens !
- Eh bien tu vois : nous avançons...   Bien. C'est Laure que tu as connu en premier ?
- Non.
- C'est Christine ?      
- Si ce n'est pas l'une, c'est donc l'autre...
- Bien. Tu rencontres Christine. Il y a longtemps ?
- Je ne sais plus.
- C'est une amie de ta famille ?
- Pas exactement.
- C'est une vendeuse de journaux ? Une manucure ? Une simple passante ? Une pute ?
- Rien de tout cela.
- Une philosophe ?
- Presque...
- Un professeur ! Ça y est, j'ai trouvé. C'est un prof...
Elle s'excite. Son imagination s'est mise en branle. Il ne lui en faut pas plus pour inventer la suite :
- Oui. C'est ça. C'est un de tes profs. Mettons que tu es encore au lycée, en classe prépa. C'est un prof moderne, un de ceux qui font ami-ami avec leurs élèves. Elle les invite chez elle, le soir après les cours. Vous faites de la littérature oulipienne, ou du théâtre, ou vous discutez des nuits entières de l'engagement de l'écrivain... Le printemps arrive. Elle a une maison de campagne et elle organise des week end de révision au concours. C'est le printemps, les cerisiers sont en fleurs et les petits matins propices. Un dimanche tu es réveillé plus tôt que de coutume, tu es sorti sur la pelouse pour prendre le petit déjeuner et tu la vois arriver, encore endormie, dans son pyjama à fleur, elle trébuche, comme par hasard elle trébuche, tu te précipites, elle tombe dans tes bras, ta main juste sous son sein, ta bouche juste contre sa bouche... à l'heure de la messe vous avez consommé et aux vêpres elle t'a avoué t'avoir repéré dès le premier jour... Je brûle, pas vrai ?
Je ne peux m'empêcher de sourire. Mais non.
- Non.
- Tout est faux ? Absolument tout ?
- Presque tout.
- Qu'est-ce qui est vrai ? Le week-end ? Les cerisiers ? Le pyjama ? La main sous le sein ? Et Laure dans tout ça ?
- Ça fait trop de choix. Et puis Christine n'était pas mon professeur.
- Ah ! Elle était quoi alors ?
- Elle était un professeur parmi d'autres.

Nathalie s'interrompt pendant qu'on nous amène les plats. Réfléchit encore un peu puis se lance de nouveau :
- C'était un prof de ton lycée au moins ?
- Oui.
- Que tu croisais dans les couloirs ?
- En quelque sorte, oui.
- Tu la trouvais jolie ?
- Jolie n'est pas le mot.
- Arrête de chipoter. Belle, désirable, sexy, affriolante... Tu l'avais remarquée ?
- Non.
- Elle t'avait remarqué ?
- Peut-être. Je ne sais pas.

De nouveau elle s'interrompt. Mais réattaque presque aussitôt.
- Mettons tout de suite les choses au point. C'est une histoire de cul ?
- De cul ?
- Oh là là ce qu'il m'énerve ! Tu as couché avec Christine ?
- C'est une manière de présenter les choses...
- Avec Laure ?
- Même réponse
- C'est par Laure que tu as connu Christine ?
- Non.
- C'est par Christine que tu as connu Laure ?
- Non.
- Tu les as connues en même temps ?
- Oui.
- Ah ! Enfin ! Dans ton foutu lycée ?
- Oui.
- Laure était dans ta classe ?
- Elle est venue dans ma classe, oui. Au mois de janvier. Ou de décembre. Je ne sais plus.
- A cette époque tu connaissais déjà Christine ?
- Qu'entends-tu par « connaître » ?
- Imbécile ! Vous vous étiez déjà parlé ?
- Oui.
- C'est elle qui est venu vers toi ?
- Oui.
- Pour te parler de sa nièce ?
- Oui.
- Elle t'a dit que sa nièce allait débarquer dans sa classe et qu'il fallait être gentil avec elle ?
- C'était plus subtil, mais en gros, oui, c'était ça.
- Et alors ?
- Alors ?
Nathalie coince.
- Je n'y comprends rien, dit-elle. Elle habitait rue du Pont-de-Lodi ?
- Je suppose qu'elle y vit toujours.
- Tu es allé chez elle ?
- Oui.
- A cause d'elle ou à cause de sa nièce ?
- Pour Laure.
- Pour voir Laure ?
- Oui.
- Pour l'aider à rattraper les cours auxquels elle n'avait pas assisté ?
- Oui.
- Tu y es allé souvent ?
- Souvent, oui.
- Christine s'est montrée sensible à l'attention que tu portais à sa nièce ?
- Oui. Oui et non. C'est plus subtil...
- Je sais. Et le mari de Christine au fait, où est-il ?
- Pas de mari.
- Ainsi elles vivent seules. La tante et la nièce
- Oui.

Le serveur survient, change nos assiettes puis apporte le plat de résistance. Nathalie pendant un moment s'occupe de sa truite, puis tente un premier résumé :
- Bon. Alors voilà ce que nous tenons. Il y a une jeune nièce, charmante, et sa tante, bien portante et tout à fait dévouée à sa nièce. Elle te demande de donner un coup de main à sa nièce pour ses cours. Toi, bonne âme, tu t'exécutes sans penser à mal. Elles habitent un petit appartement rue du Pont-de-Lodi. Un soir tu te pointes et tu sonnes. Je suppose que tu t'attends à ce que ce soit Laure qui vienne ouvrir. Perdu. Ce n'est pas Laure mais Christine.
Je ne dis rien. La scène se précise à mesure que Nathalie la découvre.
- Je brûle ? Bien. Qu'est-ce qui peut se passer ensuite ? Et d'abord où elle est, Laure ? Elle n'est pas là ?
- Non.
- Où est-ce qu'elle est passée.
- Ailleurs. Je ne sais où.
- Eh bien tu vois, on va y arriver. Christine vient t'ouvrir. Elle a passé une partie de l'après-midi à corriger des copies. Elle n'est pas bien habillée, pas coiffée, pas maquillée, rien que du désordre, quoi. Alors elle vient t'ouvrir. Elle t'explique en deux mots que sa nièce n'est pas là. Elle te fait tout de même entrer. Tu entres. Tu l'accompagnes à la cuisine. Elle te fait un café. Elle en prends un avec toi. Elle te parle. Elle raconte. N'importe quoi. Des choses. Ce qui lui passe par la tête. Je me trompe ?
- C'est...
- C'est plus subtil, oui. Je sais. Mais il faut aller vite. C'est une femme de trente cinq quarante ans, elle a une nièce de dix sept dix huit ans, elle est encore assez belle...
- Très belle...
- Et seule. Tu l'écoutes. Tu ne peux que l'écouter...
- Je l'écoute en effet.
- Et puis petit à petit elle laisse entendre n'a pas vu une queue depuis des années...
- Non.
- Non ? C'est...
- Plus subtil, oui. Je sais. Mais c'est ça qu'elle veut non ?
- Non.
- C'est toi qui te propose ?
- Certainement pas !
De nouveau Nathalie s'interrompt.
- Ça n'est pas ça ?
- Non.
- Depuis longtemps ?
- Assez, oui.
- Tu es parti, c'est ça ?
- Oui.

Un temps. Nathalie comprend qu'elle fait fausse route. Repart dans une autre direction.
- Tu l'as revue ? Je veux dire Christine...
- Oui.
- Je ne comprends pas.
- Ça ne m'étonne pas...
- Oh ! Arrête un peu de te moquer de moi, hein... C'est rapport à Laure ?
- En quelque sorte, oui.
- Attends... Je crois que j'y suis ! Elle s'imagine que Laure et toi vous... Oui ! Elle voudrait bien mais d'un autre côté, piquer le mec de sa nièce, c'est... C'est ça ?
- Quoi ?
- Laure.
- Quoi Laure ?
- Eh bien vous avez... ?
- ...
- Quel faux cul ! Bon. La nièce nous y reviendrons plus tard. Pour le moment c'est la tante qui m'intéresse . Où en étions-nous ? Oui. Elle s'intéresse à toi mais elle voudrait avant tout de la discrétion. Et que sa nièce ne soit pas dans les parages. Bon. Comment fait-on dans ces cas-là ? On commence par écrire un mot, non ?
- C'est une assez bonne méthode...
- Bien. Elle t'écrit. Quelque chose de relativement énigmatique... Ou d'on ne peut plus clair au contraire. Elle fixe un rendez-vous. Fixe-t-elle un rendez-vous ?
- Oui.
- Dans un hôtel ?
- Non.
- Chez elle ? Rue du Pont-de-Lodi ?
- Oui.
- Un soir ?
- Non.
- Un midi ?
- Oui.
- Elle t'invite à déjeuner, quoi.
- En quelque sorte...
- Nous y sommes ! Parfait.

Nathalie se frotte les mains. Le serveur débarrasse nos assiettes, propose les desserts. Nathalie choisit une mousse au chocolat, moi un café.
- Dis-moi, reprend-elle sitôt sa mousse servie, est-ce au moins un bon souvenir ?
- Oui.
- Genre « grande dame » ?
- Pas du tout !
- Vicieuse ? Bourgeoise vicieuse ?
- Encore moins ?
- Voyons voir. Bien. Le déjeuner pour commencer. Aucun intérêt. Tout se passe, j'imagine, tout à fait normalement. C'est ensuite. Quelle heure ça nous fait ? Deux heures et demie ? Trois heures ? Le soleil donne en plein dans l'appartement... Elle vient d'apporter les cafés. Elle s'assied en face de toi, dans un fauteuil, croise les jambes, remonte négligemment sa jupe sur ses jambes, découvre ses cuisses, change ostensiblement de position...
Je ne peux m'empêcher de rire.
- Tu regardes trop la télévision.
- C'est pas ça ?
- En aucune façon.
- Ah ! C'est plus direct ?
- Non. Plus poétique, dirais-je...
- Je me méfie de ton sens poétique... Bien. Elle te... Je ne sais pas, moi. Elle te déclare tout de go qu'elle préfère ceci ou cela...
- Pas exactement.
- Est-elle encore habillée ?
- De pied en cap.
- Restera-t-elle habillée ?
- Il me semble, oui.
- Toute habillée ? Dessus dessous ? Ah ! Suis-je bête ! Elle n'a rien en-dessous ! C'est ça ?
- Puisque tu le dis...
- Hypocrite ! Bon. Elle te propose quelque chose ?
- Oui. Oui et non.
- Comment ça « oui et non » !? Attends. Je vais trouver. Laisse-moi un peu de temps... C'est elle ? C'est elle qui... ? Elle te demande quelque chose ?
- ... Oui.
- Qui la concerne ?
- Non.
- Elle te demande de te déshabiller ? De te montrer ? Elle te demande de la sortir. Elle veut voir ta queue. C'est ça ?
- Ce n'est pas le bon mot mais admettons.
- Ta verge. C'est mieux comme ça ? Elle te dit : « Cher ami, seriez-vous assez aimable d'exhiber votre verge ? » Comme tu es bien élevé, tu t'exécutes.
- Je m'exécute.
- Tu bandes un peu. Tu commences juste à bander. C'est suffisant à son goût ?
- Ça l'est.
- Elle commente ? Elle te fait des remarques ? Des compliments ? Elle fait la moue ?
- Rien de tout cela.
- Mais elle te regarde au moins ?
- Oui.
- Ah ! Tout de même ! Elle te regarde. Ça doit l'exciter un peu, tout ça, non ? Un jeune mec qui, au café, dans son salon, vous la sort. D'ailleurs c'est ce qu'elle cherche. J'en suis sûre. C'est du genre un peu spéciale. Je l'ai su tout de suite quand je l'ai vue, tout à l'heure. Et elle, que fait-elle ? Se contente-t-elle du spectacle ? J'imagine que non. Ne se serait-elle pas... Comment dire ? Sa jupe, elle est toujours sur ses genoux ?
- De moins en moins...
- Oh la cochonne ! Alors c'est ça ! Elle y va d'une petite main entre ses cuisses. Elle se branle. C'est comment ?
- Lent. Recueilli. Cérémonieux.
- Elle est poilue ? Frisottée ? Odorante ? Démonstrative ? Exprete, j'imagine... 
- Elle est très belle.
- Mais encore ?
- Comment dire ? Elle prend son temps. Attentive, indécente et pudique en même temps, appliquée, consciente, merveilleusement consciente...
- Et toi ?         
- Moi je l'admire.
- Tu ne te touche pas ?
- Non.
- Tu bandes ?
- Oui.
- Ça dure longtemps ?
- Oui. Mais c'est un temps différent.
- Elle jouit ?
- Oui.
- Elle crie ? Elle se...
- Juste ses lèvres pincées, ses yeux soudain fermés, le geste arrêté de sa main.
- Et ensuite ? Elle te laisse de débrouiller tout seul ?
- Non.
- Elle se lève ?
- Après un long moment, oui.
- Elle vient vers toi ?
- Oui.
- Elle se l'enfile ?
- Non.
- Rien ? Nada ?
- Si...
- Ah ! Alors elle te suce ?
- ... Oui.
- Et elle fait ça bien ?
- Divinement.
- Jusqu'au bout ? Elle avale ?
- Oui.
- Et puis ?
- Eh bien nous finissons le café...

Nathalie s'arrête un moment. M'observe. Va pour dire quelque chose, puis se ravise. Repousse son assiette et appelle le serveur. Commande un café et un cognac. Reprend :
- Pourquoi pas ? Je suppose que vous avez renouvelé la cérémonie un certain nombre de fois...
- Ça nous est arrivé, oui.
- Chez elle ? Toujours chez elle ?
- Oui.
- Et je suppose qu'elle s'est toujours refusé à plus... je veux dire à autre chose...
- Tu supposes bien.
- L'as-tu vue au moins ? Je veux dire nue...
- Jamais.
- Sais-tu pourquoi elle ne t'a jamais proposé de faire l'amour de manière ... à la fois plus conventionnelle et disons... conviviale ?
- Je ne lui ai jamais demandé.
- Tu n'es pas très curieux...
- Il n'y a aucune raison de considérer cette manière comme moins ... conviviale, comme tu dis. Cette femme resplendissait quand le plaisir la prenait. Et moi je considérais que de pouvoir la voir dans ces moments-là valait largement tout le reste...
- Chacun ses goûts...
- En effet.

Le serveur apporte le café et le cognac. Nathalie prend son temps, puis soudain se réveille :
- Mais Laure ? Nous avons oublié Laure ! Elle est toujours en voyage ?
- Non.
- Vous vous... Comment ça s'est-il passé avec Laure ? Aussi au salon ?
- Non.
- Dans les couloirs du lycée ?
- Presque...
- C'est elle qui t'a...
- Non.
- Alors c'est toi ?
- Moi. Elle. Ça s'est fait... disons de manière inattendue.
- Elle est comment Laure ? Je veux dire délurée ? Sainte-Nitouche ?
- Ni l'une ni l'autre. C'est une fille parmi d'autres...
- Mais plutôt mignonne à ce qu'il me semble...
- Oui.
- C'est dans une salle de cours ?
- ... Oui.
- Vous êtes seul ?
- Oui.
- Exprès ?
- Oui. Enfin... C'était ainsi, oui.
- Vous travaillez ? Vous travaillez ensemble ?
- Oui.
- Je vois ça d'ici. Un jeune homme et une jeune fille, dans une grande salle de cours, assis côte à côte à une table, absorbés dans une version latine...
- C'était un thème...
- ... la jeune fille porte une jupe courte, un petit corsage blanc, par hasard elle se penche un peu, le regard du jeune homme est comme aimanté par ce qu'il devine à travers l'échancrure du corsage, il se contient, pendant une demie heure il se contient et puis à la fin il n'en peut plus, il se penche lui aussi, dépose dans le cou de la jeune fille un baiser salé, la jeune fille sursaute mais le mal est fait...  
- Tu n'y es pas, mais alors pas du tout !
- Dis-moi.
- Je ne sais plus très bien. Nous nous sommes embrassés, je crois, et puis le reste a suivi, naturellement en somme.
- Mais celle-là tu l'as baisée au moins. Je veux dire...
- Je vois ce que tu veux dire. Oui. Par la voie normale.
- La petite porte aussi ?   
- Jamais.
- Léchée ?
- Je pense. Je ne sais plus très bien.
- Et elle ?
- Comment ça elle ?
- Elle t'a sucé ?
- Je ne sais plus.
- En tout cas ça t'a moins marqué que sa tante, hein...
- Apparemment...
- Bon, alors de ce côté-là, si je puis dire, rien que de très attendu en somme. Une bonne camarade. Tu as fait ça avec d'autres filles de la classe ?
- Deux ou trois autres, oui.
- Tu leur faisais leurs dissertations en prime ?
- Non. Même pas.

Elle boit son café. Trempe ses lèvres dans le verre de cognac.
- Oui. Tout ça c'est bien beau, mais nous n'avons pas encore vu le principal...
- Le principal ?
- Les deux à la fois. La tante et la nièce. En même temps. Parce que m'est avis que c'est arrivé, non ?
- En effet.
- Souvent ?
- Une seule fois.
- La dernière alors.
- Oui.
- Que s'est-il passé. Tu étais avec la tante et la nièce vous a surpris ?
- Oui.
- Toujours le même scénario : la tante te mate, elle se branle...
- Nathalie...
- Oui. Je suis trop triviale. Je sais. Mais il est tard. Bon. Vous en êtes là et padaboum ! arrive la nièce. Qu'est-ce qu'elle fait ? Elle part en courant ? Elle entre ?
- Elle entre.
- Qui choisit-elle ? Vers où va-t-elle ? Vers ta queue ou vers la chatte de sa tante ?
- A ton avis ?
- Pour moi je sais très bien où j'aurais été, mais nous n'avons pas forcément les mêmes goûts, vois-tu... J'opte pour la chatte.
- Perdu.
- Alors elle vient vers toi. Elle se déshabille ? Elle remonte juste sa jupe ?
- Rien de tout ça.
- Elle te prend ?
- Oui.
- Dans sa main ? Dans sa bouche ?
- Dans sa bouche.
- Elle te suce ?
- Oui.
- Et pendant ce temps, la tante se manipule. Bien. La tante jouit.
- Oui.
- Et toi ?
- Moi je ne tarde pas.
- La nièce avale ?
- Non.
- Elle s'est retirée ?
- Non.
- Elle garde ça dans sa bouche ?   
- Oui.
- Mon Dieu ! C'est pas vrai ! Elle garde ton foutre pour... Pas croyable ! Et comme si de rien n'était ensuite elle va embrasser sa parent pour lui offrir la goulée de foutre... ?
- Si fait.
- Mazette. Elles sont parfaites, tes deux amies. Absolument adorables. Qu'est-ce que tu en as pensé ?
- Curieusement cela ne m'a pas surpris.
- Et il ne s'est rien passé d'autre ?
- Rien. Ni ce jour, ni un autre.
- Tu ne les as pas revues ?
- Jamais jusqu'à aujourd'hui.
- Tu es sûr ?
- Absolument sûr.
- Et maintenant ? Ça ne te dit rien ?
- Qui sait ?

Nathalie porte de nouveau le verre de cognac à ses lèvres. Cette fois-ci le boit d'un coup.
- Tu vois, me dit-elle comme on nous apporte l'addition. J'y suis arrivé...
Passée la porte du restaurant elle me demande :
- Dis-moi tout maintenant. Qui c'était ces deux nanas ?
- Ecoute ! Je vais t'avouer : je n'en sais rien. Depuis tout à l'heure je cherche, mais pas moyen de me rappeler…
- Menteur !
- Je t'assure : pas le moindre souvenir.
- C'était bien la peine de me donner tant de mal, finit-elle par dire.

© Thomas Lelong, 1998